DOSSIER FATIGUE éLECTRIQUE - LA PROCHAINE GéNéRATION DE BATTERIES POUR NOS VOITURES ATTENDRA à 2035

Les détracteurs des véhicules électriques se frottent les mains : ah ha ! On vous l’avait dit. La technologie coûte trop cher. Les consommateurs n’en veulent pas. Les constructeurs perdent des millions. Malgré les écueils, le marché de l’électrique est à un sommet historique et flirte même avec le point de non-retour. Les cibles de décarbonation des gouvernements ne demandent plus qu’un petit coup de volant… Troisième texte d’une série à l’occasion du Salon du véhicule électrique de Montréal, qui s’ouvre vendredi : la prochaine génération de batteries se fera attendre pendant encore dix ans.

La batterie du futur ne verra pas le jour avant 2035. La prochaine génération de cette pièce clé des voitures électriques n’est pas pour bientôt, admet en entrevue la direction de l’Institut de recherche en électricité du Québec, l’IREQ. Cette remise à demain n’empêche pas le centre d’innovation d’Hydro-Québec de grossir et de se réinventer.

Les étranges tours de Tesla érigées à l’intérieur du grand cube brun de l’IREQ à Varennes se déclenchent presque chaque semaine. On y teste les transformateurs d’Hydro-Québec depuis leur installation dans les années 1970. Le principal centre de recherche de la société d’État conjugue ces « vieilles » technologies avec de l’équipement neuf. Une bonne partie de ses bureaux ont été rénovés dans les dernières années. Les grands hangars d’hier ont été convertis vers 2015 en laboratoires dernier cri à l’atmosphère artificiellement sèche — question d’éviter d’endommager les prototypes de piles. Les espoirs se concentraient dans l’élaboration d’une batterie dite « tout solide » dont les calculs théoriques font miroiter 1000 km d’autonomie pour une voiture électrique.

Malheureusement, ce graal longtemps espéré pour 2025 ne sortira pas d’usine de sitôt. Ou alors sous forme « symbolique », dans des véhicules haut de gamme. Le grand public n’en verra pas la couleur avant la décennie prochaine, affirme en entrevue Pierre-Luc Marcil, directeur général de la section batterie de l’IREQ. Pas facile de trouver une « densité énergétique » qui soit sécuritaire, ergonomique et intéressante pour la grande industrie. « On avait mis énormément d’efforts sur le “tout solide”. Quand on a vu où s’en va le marché, bien, on a réorienté certains projets », indique-t-il.

Ce n’est pas pour autant que l’IREQ ralentit sa croissance. La construction d’un nouveau bâtiment occupe Hydro-Québec depuis 2022 sur son terrain industriel. Une fois le chantier terminé, la société d’État prévoit d’y installer ses employés qui exercent « des fonctions administratives, de conduite du réseau ou de technologies de l’information », selon une porte-parole.

Doté d’un budget global de 170 millions de dollars, l’IREQ a engrangé 8,8 millions de dollars en 2022 en vendant ses brevets et des licences commerciales. La recherche s’adapte selon des demandes du marché, explique Pierre-Luc Marcil. « Il y a un changement d’orientation qui est fait. On déploie nos efforts à certains endroits versus d’autres. L’autre élément, c’est aussi qu’il y a de plus en plus une mutualisation des efforts de recherche qui est faite. Des mouvements à l’intérieur de l’écosystème se font. Mais, en termes de ralentissement de recherche du point de vue batterie, on ne le voit pas du tout. »

Selon ses prévisions, le « tout solide » ne remplacera pas de sitôt la place de la batterie actuelle dite « lithium-ion ». Cette technologie contiendrait encore assez de promesses pour qu’on y concentre encore le jus de cerveau d’une centaine de chercheurs à l’IREQ.

Plus d’une vingtaine d’éléments

Parmi le demi-millier d’employés à l’IREQ, on compte 268 scientifiques, dont quelques dizaines nées à l’étranger. Cette composante internationale — présente à l’IREQ depuis ses débuts — s’illustre notamment avec la directrice de recherche, Chisu Kim, Coréenne d’origine. Elle a d’ailleurs succédé à un autre néo-Québécois, Karim Zaghib.

« Pour faire fonctionner une batterie, compare-t-elle en entrevue, il y a plus d’une vingtaine de substances qui existent et qui sont interreliées. C’est très intéressant comme diversité. C’est exactement comme notre équipe qui permet de créer les nouvelles solutions. Si un élément ne marche pas, la batterie au complet ne fonctionne plus. On a des diversités : non seulement la nationalité, mais différentes expertises de mécanique, de chimie organique, chimie inorganique, pour créer des idées innovantes. »

Celle qui dirige la science du centre de recherche a combiné 12 ans d’expérience dans l’industrie coréenne de l’électrification avant de venir s’installer au Québec. La qualité de la vie familiale d’ici l’a surtout convaincue de choisir la Montérégie, dit-elle, entre autres raisons.

« C’était plus difficile de trouver des solutions à court terme, alors je pensais me concentrer sur les solutions à plus long terme. J’ai décidé de retourner à la science et de travailler comme chercheuse à l’IREQ. »

La recherche de pointe traverse une forme de pénurie de main-d’oeuvre, confirme la scientifique. Elle estime que l’industrie aura besoin de 100 000 scientifiques de plus seulement en Amérique du Nord d’ici quelques années. Le manque de cerveaux serait donc l’un des « éléments bloquants » de la confection de la prochaine génération de batteries.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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