DOSSIER FATIGUE éLECTRIQUE - À LA RECHERCHE D’EXPERTISE EN BATTERIES

Les détracteurs des véhicules électriques se frottent les mains : ah ha ! On vous l’avait dit. La technologie coûte trop cher. Les consommateurs n’en veulent pas. Les constructeurs perdent des millions. Malgré les écueils, le marché de l’électrique est à un sommet historique et flirte même avec le point de non-retour. Les cibles de décarbonation des gouvernements ne demandent plus qu’un petit coup de volant… Deuxième texte d’une série à l’occasion du Salon du véhicule électrique de Montréal, qui s’ouvre vendredi : le manque de spécialistes des batteries retarde la mise en marché de véhicules plus performants et plus abordables.

L’absence de connaissances prend plusieurs formes. Sur les réseaux sociaux, c’est le partage de faussetés sur le contenu et la production des batteries qui alimentent les véhicules électriques. Dans les usines, c’est un important manque de main-d’oeuvre capable d’assembler ces fameuses batteries.

S’il y avait plus de gens qui savent de quoi sont composées les batteries des Tesla, Polestar et autres Chevrolet Bolt, sans doute y aurait-il moins d’internautes pour s’indigner à tort ou à raison de leur contenu en métaux rares. Dans les faits, certains de ces métaux servent à raffiner le pétrole et à éliminer ses émissions de GES, bien plus qu’ils aident à prolonger l’autonomie de véhicules zéro émission.

Un autre problème d’expertise est le manque en Amérique du Nord de spécialistes des batteries. Cela place le continent à la traîne d’autres régions, comme la Chine, dans la mise en marché de véhicules électriques plus performants et plus abordables.

Car les batteries des véhicules électriques sont plutôt sophistiquées et leur fabrication requiert des expertises rares chez nous : des ingénieurs chimistes, des électrotechniciens, etc. Les usines où elles sont fabriquées exigent aussi une certaine spécialisation. Les normes de sécurité ne sont pas les mêmes dans une usine qui emballe des gigawattheures d’électricité que dans une usine qui emballe de la viande.

Et quand ces usines sont toutes neuves, ce sont des milliers de travailleurs qui s’ajoutent à une localité qui doit les desservir. Dans la région de Bécancour, le pôle québécois de la fabrication de composants de batteries, aussi bien qu’autour de McMasterville, où l’usine de Northvolt emploiera à terme 3000 personnes, ce sont des centaines de travailleurs qu’il faudra bien trouver quelque part.

Et ce ne sera pas facile. « C’est certainement un enjeu », dit la présidente et directrice générale de l’organisme sectoriel Propulsion Québec, Michelle LLambías Meunier, à propos du manque de main-d’oeuvre pour assurer l’essor à la fois de la filière batterie et de celle des véhicules innovants. Propulsion Québec dit que 70 % de ses quelque 250 entreprises membres — un bon échantillon de l’industrie tout entière — voient déjà leur croissance à moyen terme être menacée par le manque de travailleurs.

« Il y a la concurrence dans le secteur, d’une part. Par exemple, General Motors, à Bécancour, rivalisera avec d’autres entreprises de son secteur aussi présentes dans la région, explique Mme LLambías Meunier. Il y aura aussi la concurrence des entreprises d’autres secteurs qui ont aussi besoin de gens qualifiés, comme des ingénieurs. »

Propulsion Québec dit être en discussion avec le gouvernement pour mettre en place des programmes de formation et de requalification à tous les niveaux, de l’attestation d’études collégiales aux diplômes universitaires plus avancés. L’organisme sectoriel propose aussi un projet pilote qui accélérerait l’arrivée au pays de travailleurs qualifiés. « On l’a fait dans l’agroalimentaire et l’intelligence artificielle, deux autres secteurs jugés stratégiques pour l’économie », dit Michelle LLambías Meunier.

Si rien n’est fait, le manque de travailleurs « peut menacer la création de la filière batterie québécoise », redoute Michelle LLambías Meunier. Mais tout indique que les choses vont bouger, donc le risque est moins grand.

400 nouvelles usines

Québec peut toujours s’inspirer de Washington. Les États-Unis s’inquiètent eux aussi du manque de formation pour leurs professionnels de la fabrication de batteries. Les départements américains de l’Énergie et du Travail sont à pied d’oeuvre pour décupler leur nombre le plus rapidement possible.

Selon le gouvernement américain, entre 300 et 400 nouvelles usines de batteries devraient voir le jour au pays de l’Oncle Sam avant la fin de la décennie, la plupart entre 2025 et 2028. Le gouvernement américain calcule qu’il faudra quelque 179 000 travailleurs pour effectuer le boulot. L’industrie en compte présentement un peu moins de 30 000…

Les professionnels de l’assemblage de batteries électriques, on l’aura compris, ne courent pas les rues. Aux États-Unis, c’est perçu comme un handicap géopolitique, notamment contre la Chine. La Chine se penche déjà sur les prochaines générations de batteries plus performantes, plus durables, moins chères…

« Le leadership américain dans la chaîne d’approvisionnement mondiale des batteries ne dépend pas seulement de notre capacité d’innovation, mais aussi de l’existence d’une main-d’oeuvre qualifiée », résume la secrétaire américaine à l’Énergie Jennifer M. Granholm.

À la fin mars, Mme Granholm et son homologue au Travail, Julie A. Su, ont donc affirmé leur volonté d’accélérer la formation de travailleurs prêts à faire tourner ces centaines de nouvelles usines de batteries américaines.

Un programme fédéral appelé Battery Workforce Initiative a été dévoilé pour éviter cette pénurie. Il vise à créer un curriculum harmonisé pour aider les écoles, les centres de formation spécialisés, les entreprises et tout ce qui touche aux ressources humaines en usine à parler le même langage.

La disponibilité des matériaux n’est plus à craindre, disent en somme les autorités. Une éventuelle pénurie de main-d’oeuvre qualifiée, elle, si.

« J’ai passé 48 ans dans des usines de batteries, y compris la plus grande usine d’assemblage de batteries au lithium, et je peux vous dire que la formation est la clé pour que la filière batterie connaisse du succès », a déclaré le directeur de la technologie de NAATBatt, l’organisation qui représente l’industrie américaine des batteries, Bob Galyen, en réaction à l’annonce de la Battery Workforce Initiative.

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