DU BREXIT AU «BREGRET»

Il est encore tôt, bien sûr, mais le Brexit se révèle, pour le moment, avoir été une mauvaise affaire pour l’économie britannique. Et la situation ne semble pas près de s’arranger.

Profondément divisés durant le débat sur le Brexit, les Britanniques sont longtemps restés sur leurs positions respectives, jusqu’à ce que le camp gagnant commence à manquer d’excuses pour les difficultés rencontrées par le pays et qu’on y voie récemment monter un sentiment de regret que l’on a tout naturellement surnommé le « Bregret ».

Pas encore remis de leur surprise d’avoir décidé, par une courte majorité de 52 % lors d’un référendum tenu le 23 juin 2016, de sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne, 46 % des Britanniques estimaient, quelques semaines plus tard, que le projet était une bonne idée, contre 42 % qui pensaient que c’était une erreur (et 10 % qui n’osaient pas se prononcer), rappelait, le mois dernier, Les Échos. Ces proportions ont peu changé par la suite, aussi bien durant les longues et pénibles négociations de divorce qui allaient suivre qu’après l’entrée en vigueur effective de la séparation, le 31 janvier 2020, il y a trois ans cette semaine. Mais la tendance a commencé à s’inverser l’an dernier, au point où, en novembre, 56 % des répondants à un sondage Yougov en parlaient désormais comme d’une erreur et seulement 32 %, comme d’une avancée.

Il faut dire que, si le Brexit était censé, selon ses partisans, être un formidable moteur de développement économique en libérant notamment le Royaume-Uni du carcan réglementaire et du fardeau budgétaire européen, en plus de le libérer de l’obligation de laisser ses portes ouvertes à des travailleurs étrangers, on ne peut pas exactement parler de promesses tenues.

Le pays est la seule économie du G7 à être encore aujourd’hui plus petite qu’elle l’était avant le début de la pandémie de COVID-19, rappelait à la fin novembre le Financial Times. Cette semaine encore, le Fonds monétaire international prédisait qu’elle sera la seule économie majeure à subir une récession cette année. Quant au nombre d’étrangers dans le pays, il n’avait pas diminué, mais augmenté d’environ 50 % l’an dernier par rapport à ce qu’il était avant le Brexit, rapportait The Economist le mois dernier.

En entrevue au Financial Times cet automne, le Canadien et ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, a résumé brutalement la situation ainsi : « En 2016, l’économie britannique avait 90 % de la taille de celle de l’Allemagne. Aujourd’hui, c’est moins de 70 %. »

Devise, commerce, investissement, emploi…

Ce genre de bilan et de comparaison est injuste et trop simpliste, disent depuis le début les défenseurs du Brexit. Il ne tient pas compte, entre autres, des effets inégaux de facteurs comme la pandémie et l’invasion de l’Ukraine.

Des experts ont utilisé toutes sortes de modèles économiques basés sur les performances de dizaines d’autres économies comparables pour estimer les résultats qu’aurait obtenus un Royaume-Uni qui serait resté au sein de l’Union européenne. Une étude du Centre for European Reform en a conclu que, l’été dernier, le Brexit avait réduit, à lui seul, la taille de l’économie de 5,5 %, le commerce des biens de 7 %, l’investissement de 11 % et les revenus de l’État de 8 %. Aux prises avec une pénurie de main-d’oeuvre, le Royaume-Uni a aussi perdu 1 % de paires de bras disponibles, selon d’autres calculs, à raison d’une perte nette de 460 000 travailleurs qui seraient venus de l’Union européenne, compensée seulement partiellement par un gain net de 130 000 travailleurs provenant d’autres pays.

La victoire surprise du Brexit au référendum a aussi porté un coup à la livre sterling dont elle ne s’est toujours pas encore remise. Cela a notamment contribué à la hausse du prix des importations, et donc du coût de la vie, notamment dans l’alimentation (+3 %), sans pour autant profiter aux exportations britanniques, a estimé d’autres recherches, cette fois du Centre for Economic Performance.

 

Le rétablissement des contrôles, des règles différentes et des formalités administratives à la frontière entre le Royaume-Uni et l’Europe semblent largement responsables non seulement de la chute du volume, mais aussi de la variété de biens échangés entre les deux économies (de 70 000 à 42 000), expliquait dans le Financial Times en novembre June Du, une experte de l’Université Aston, à Birmingham.

L’incertitude dans laquelle le Brexit a plongé les grandes entreprises en a amené plusieurs à retarder des investissements ou à se tourner vers d’autres destinations en Europe. Cela a été le cas, entre autres, dans le secteur financier, étroitement lié jusque-là à la City de Londres, mais aussi dans l’automobile, au moment où cette industrie amorçait son grand virage vers les véhicules électriques, rapportait en novembre Le Monde.

Bonne chance !

Mais le mal est fait. La plupart des opposants au Brexit reconnaissent qu’un retour en arrière n’est pas possible, du moins à moyen terme. Quant à ses partisans, certains sont maintenant prêts à reconnaître que la séparation n’a pas apporté les bénéfices promis et qu’il est temps de s’attaquer à ses principaux problèmes, rapportait le mois dernier le quotidien Le Monde dans un article intitulé « Entrer enfin dans l’âge de raison du Brexit ».

On admet, entre autres, que ce sera beaucoup plus long et compliqué que ce qu’on avait fait miroiter de conclure de nouvelles grandes ententes commerciales avec les États-Unis, l’Inde, la Corée du Sud ou le Canada, ou même de se joindre au Partenariat transpacifique global et progressiste.

À plus court terme, le Royaume-Uni devra s’atteler au « chantier titanesque » de l’avenir des réglementations héritées de l’Union européenne, a rappelé au début de l’année Les Échos. Au coeur du prétendu corset imposé à l’économie, il est question des règles héritées de la période où le pays a été membre de l’UE, que ce soit en matière du temps de travail, des conditions du congé de maternité, des normes environnementales, de la sécurité électrique, des normes alimentaires, du droit des consommateurs ou même de la capture accidentelle des dauphins. Ces règles se retrouvent enchâssées dans plus de 4000 lois « que les Britanniques vont maintenant devoir décider de conserver, de modifier ou de tout simplement supprimer », rappelait l’article.

L’affaire soulève toutes sortes de nouvelles incertitudes pour les entreprises et de l’inquiétude dans le public en matière, entre autres, de sécurité et de compatibilités avec le marché européen. On avait promis à l’époque d’effectuer ce travail en 100 jours, mais on s’accorde désormais jusqu’à la fin de l’année.

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