LE DILEMME CLIMATIQUE DE L’AUSTRALIE

En Australie, le charbon est roi. Mais ce règne est controversé et menacé, alors que le pays prend conscience de l’importance de réduire son empreinte carbone pour endiguer les changements climatiques. L’île-continent veut même devenir « une superpuissance des énergies renouvelables ».

« En Australie, le charbon est une industrie très importante économiquement », admet sans détour Frank Jotzo, directeur du Centre d’économie et de politique climatiques de l’Université nationale australienne, à Canberra.

« Ce secteur génère des recettes fiscales au gouvernement, mais, peut-être plus important encore, il fournit des emplois bien rémunérés. Et c’est peut-être l’obstacle le plus difficile à surmonter dans le cadre de la transition : le ralentissement économique régional qui se produirait si les mines de charbon étaient fermées », ajoute M. Jotzo.

 

Comme au Canada, où l’Alberta reste fermement attachée à l’industrie pétrolière, la prospérité économique de plusieurs régions de l’Australie reste étroitement liée au destin du charbon.

À l’échelle internationale, l’Australie est le cinquième pays producteur de charbon (490 millions de tonnes métriques par an en 2020), loin derrière la Chine, qui trône au premier rang (3790 millions de tm/an), selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Du côté des exportations, le pays, surnommé « Down Under » en raison de sa position géographique, est le second exportateur de charbon au monde (390 millions de tm/an en 2020), tout juste derrière l’Indonésie, qui occupe la première place (405 millions de tm/an).

Et, loin d’avoir diminué radicalement dans les dernières années pour limiter le réchauffement planétaire, les exportations australiennes de charbon demeurent très élevées.

Selon les estimations du gouvernement australien, les exportations de charbon de l’Australie devraient être, en 2023, plus de 2,5 fois supérieures (360 millions de tm) à ce qu’elles étaient trente ans plus tôt (130 millions de tm), au moment du Sommet de la Terre de Rio, lors duquel les dirigeants mondiaux avaient adopté la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

Le potentiel du renouvelable

La grande majorité du charbon produit en Australie est destinée à l’exportation, mais cette matière demeure tout de même la source d’énergie prédominante qui alimente le réseau d’électricité au pays. Près de 60 % du réseau électrique national australien dépend du charbon, contre 30 % pour les énergies renouvelables.

Les choses pourraient toutefois changer, car le gouvernement australien a l’ambition de faire du pays « une superpuissance des énergies renouvelables », en misant sur ses vastes ressources solaires et éoliennes, ainsi que sur l’abondance des minéraux liés à la transition, comme le lithium.

« C’est tout à fait réaliste, mais la tâche est considérable », estime Bruce Mountain, directeur du Centre de politiques énergétiques à l’Université de Victoria, à Melbourne.

« L’avantage des combustibles fossiles est qu’ils sont concentrés et peuvent être stockés — contrairement à l’éolien et au solaire qui nécessitent une expansion du réseau de transmission et des technologies de stockage », explique le professeur.

Mais, sans attendre que le réseau électrique se transforme, les Australiens ont déjà déployé des efforts au cours des dernières années pour verdir leur approvisionnement en électricité.

Dans les quartiers résidentiels, les panneaux électriques foisonnent sur les toits. Chiffres à l’appui, selon l’institut de recherche Roy Morgan, près d’un foyer sur trois est équipé de panneaux solaires en Australie.

« Nous avons beaucoup plus de production d’électricité à partir de l’énergie qui vient des panneaux solaires installés sur les toits que nous en avons à partir de fermes solaires », note M. Mountain.

« C’est très populaire et cela permet aux gens de faire des économies sur leur facture d’énergie. Mais cela crée tout de même une inégalité entre ceux qui ont une maison et peuvent s’offrir des panneaux solaires et ceux qui vivent dans des logements partagés et ne peuvent pas se le permettre », ajoute l’expert.

Changement de garde et de vision sur le climat

La victoire du Parti travailliste, mené par Anthony Albanese, aux élections fédérales de 2022 a marqué un tournant dans le paysage politique australien — mettant un terme à la décennie de règne libéral, l’équivalent des conservateurs au Canada.

« Durant de nombreuses années, nous avons eu un gouvernement fédéral qui tirait un avantage politique du clivage lié aux enjeux climatiques et des lignes de fracture régionales », souligne Frank Jotzo, de l’Université nationale australienne.

« Le gouvernement travailliste a une attitude proactive face aux changements climatiques. Et cela change beaucoup de choses, notamment par rapport au premier ministre précédent, Scott Morrison, dont le gouvernement avait vraiment le pied sur la pédale de frein en ce qui concerne l’action climatique », explique M. Jotzo.

Dans la dernière année, le gouvernement Albanese a ainsi mené de front plusieurs politiques pour mettre le cap sur la réduction de l’empreinte carbone du pays. Il a fixé par une loi les objectifs de réduction des émissions de 43 % d’ici 2030 et de zéro émission nette d’ici 2050, en plus de resserrer le mécanisme qui impose des limites d’émission aux quelque 200 installations les plus polluantes du pays.

« Ce mécanisme a en fait été introduit par les conservateurs, mais ses paramètres avaient été établis de façon à ce qu’il soit complètement inefficace — ce qu’est venu rectifier le nouveau gouvernement », dit M. Jotzo.

Début mai, une nouvelle « autorité nationale du net zero » a aussi été mise en place. Elle servira entre autres à offrir du soutien à la formation aux travailleurs des secteurs à forte intensité d’émissions.

Mais les ambitions climatiques de l’Australie se limitent à ses frontières.

« Aujourd’hui, les gouvernements au fédéral et à l’échelle des États sont conscients de la nécessité d’une transition énergétique des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables, et ils savent que cela aura un jour ou l’autre des conséquences sur les exportations. Ils l’ont compris, mais c’est très difficile d’aborder le sujet ouvertement. Alors, la situation est la suivante : la plupart des gouvernements australiens sont engagés dans la transition énergétique nationale, mais ils ne reconnaissent pas ouvertement que les exportations déclineront », explique le professeur Jotzo.

En somme, l’Australie veut rouler aux énergies renouvelables, mais prévoit de continuer d’exporter du charbon vers d’autres pays.

Un constat qu’observe aussi Bruce Mountain. « L’argument est le suivant : si nous ne le faisons pas, quelqu’un d’autre le fera. Jusqu’à présent, notre gouvernement ne cherche pas un accord mondial pour mettre un terme aux exportations de charbon. Et il n’est pas disposé à agir unilatéralement », note-t-il.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.

Rectificatif: dans une précédente version de cet article, les données étaient exprimées en tonnes métriques. Or, elles auraient dû être lues en millions de tonnes métriques.

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