LE GAIN EN CAPITAL ET LE PRINCIPE «UN DOLLAR EST UN DOLLAR»

Rarement aura-t-on autant parlé de la disposition relativement obscure de l’impôt sur le gain en capital. En annonçant le relèvement de son taux d’inclusion la semaine dernière, la ministre canadienne des Finances, Chrystia Freeland, a soulevé toutes sortes de questions, notamment quant à l’effet de la décision sur les ménages de la classe moyenne, sur la motivation entrepreneuriale et sur l’investissement des entreprises dans leur productivité.

De quoi s’agit-il déjà ?

L’impôt sur le gain en capital s’applique sur le bénéfice réalisé lorsqu’un individu ou une entreprise vend un actif, comme des actions ou un immeuble. Contrairement aux revenus d’emploi, par exemple, seulement une fraction de ces gains est incluse dans le calcul de l’impôt à payer. Depuis quelques années, c’est un dollar de gain sur deux (50 %) qui entrait dans le calcul du revenu imposable. À partir du 25 juin, ce taux d’inclusion passera à deux dollars sur trois (66,7 %) sur les gains en capital dépassant 250 000 $ dans une année.

Cette règle générale s’accompagnera de toutes sortes d’exceptions anciennes et nouvelles. Notamment, le gain en capital provenant de la vente d’une résidence principale continuera d’être complètement exempté. Les propriétaires d’une petite entreprise conserveront aussi une exemption individuelle qui a été portée à 1,25 million et qui sera ensuite indexée. Ils auront également droit à un nouveau taux d’inclusion spécial de seulement 33 % sur une somme supplémentaire qui pourra atteindre 2 millions dans 10 ans.

À qui l’addition ?

Ces changements devraient rapporter au gouvernement fédéral près de 20 milliards en recettes fiscales additionnelles sur cinq ans, estime Ottawa, à raison de 8,8 milliards du côté des particuliers et de 10,6 milliards de celui des sociétés. À Québec, où le ministre des Finances, Eric Girard, a rapidement annoncé qu’il harmoniserait ses règles en la matière avec celles d’Ottawa, les recettes additionnelles attendues devraient s’élever à un total de 3 milliards, dont 1 milliard dès cette année, diminuant d’autant le déficit budgétaire projeté, de 11 à 10 milliards.

Du côté des particuliers, cette nouvelle facture ira essentiellement aux ménages les plus riches, dit Ottawa, qui estime que seulement 40 000 Canadiens, ou 0,13 % de la population, déclareront des gains en capital supérieurs à 250 000 $ en 2025 alors que leurs revenus bruts totaux dépasseront 1,4 million en moyenne. Quant aux entreprises, moins de 307 000 sur presque 2,5 millions, ou 13 %, ont déclaré des gains en capital en 2022. Ces dernières affichaient alors des revenus imposables moyens (702 000 $) quatre fois supérieurs à ceux des autres (174 000 $).

Et les propriétaires de triplex ?

À la suite de l’annonce de la ministre Freeland, certains se sont inquiétés de l’impact que les nouvelles règles de l’impôt sur le gain en capital pourraient quand même avoir sur les Canadiens ordinaires. Comme elles ne touchent pas les actifs détenus sous forme de REER ou de CELI, on s’est rapidement tourné du côté des propriétaires d’immeubles ou d’entreprises. On a notamment cité l’exemple d’un petit propriétaire immobilier qui vendrait, un jour, son triplex, dont la valeur aurait suivi la flambée du marché.

« Il faut savoir que même ce petit propriétaire, qui réaliserait un gros gain en capital d’un coup, pourrait bien ne pas être touché », explique Luc Godbout, professeur et titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke. Supposons en effet un triplex acheté 300 000 $ et vendu 1 million, dont il occupe l’un des logements et loue les deux autres. Comme le tiers des 700 000 $ de gains en capital correspond à sa résidence principale, il est exclu du calcul. Quant au reste (466 700 $), s’il a acheté l’immeuble en couple, il pourra le partager en deux avec sa conjointe (à 233 350 $) et rester ainsi sous le seuil individuel de 250 000 $.

C’est du côté des plus riches (gens d’affaires, professionnels…), qui ont la possibilité de choisir de se faire payer en salaire, en dividendes ou encore en gains en capital, que des choses pourraient changer. Comme le taux marginal maximal d’imposition sur le revenu ordinaire au Québec est de 53,3 %, il était jusqu’à présent beaucoup plus intéressant de se faire payer en gains en capital — à raison de 50 % de ces gains taxés au taux maximal de 53,3 % pour un taux effectif de 26,7 % — ou même en dividendes (40 %), a calculé la CFFP. Les nouvelles règles réduisent un peu l’intérêt de ce petit jeu d’optimisation fiscale, du moins au-delà de 250 000 $ de gains en capital, où le nouveau taux maximal serait désormais de 35,5 %, soit tout prêt de celui des dividendes.

Et l’entrepreneuriat ? Et la productivité ?

D’autres personnes ont peur que ces hausses d’impôt découragent l’esprit d’entreprise ou réduisent le niveau d’investissement des entreprises au moment même où l’on cherche désespérément le moyen de consacrer plus d’effort à améliorer leur productivité.

Dans le cas des petites entreprises, Chrystia Freeland a non seulement « gardé la ceinture et les bretelles pour éviter de toucher leurs propriétaires, mais elle a ajouté une deuxième paire de bretelles », dit Luc Godbout à propos du nouveau taux d’inclusion réduit de 33 % qui s’appliquera éventuellement jusqu’à 2 millions de gains en capital APRÈS l’exonération de base de 1,25 million. À terme, c’est-à-dire dans 10 ans, les petits entrepreneurs qui déclareront jusqu’à 6,25 millions de gains en capital paieront ainsi moins d’impôts, estime Ottawa.

Quant au taux d’imposition auquel font face les entreprises et leurs investissements au Canada, il restera inférieur à celui que les autres pays du G7 appliquent à leurs propres compagnies, a fait valoir le gouvernement Trudeau. Une fois pris en compte l’ensemble des impôts fédéraux et provinciaux, ainsi que les crédits d’impôt et déductions, un nouvel investissement verra ainsi son taux effectif marginal d’imposition passer de 14,3 % cette année à 16,8 % en 2028, contre une moyenne dans les six autres pays de 24,8 % cette année, et un concurrent américain qui fera passer son taux de 19,7 % à 24,9 % d’ici deux ans.

Un dollar est un dollar

Jusqu’en 1972, les gains en capital n’étaient pas taxés. Animé par le principe « qu’un dollar devrait rester un dollar » aux yeux de l’impôt, mais soucieux de ne pas décourager la prise de risque par les entrepreneurs, de favoriser la vente et l’achat d’actifs, ainsi que de tenir compte du simple effet de l’inflation sur la valeur d’un avoir à long terme, on a limité leur taux d’inclusion au regard de l’impôt à 50 % jusqu’en 1988. Après, ce taux a été relevé à 66,7 %, puis à 75 % en 1990, où il est resté jusqu’en 2000, pour redescendre ensuite jusqu’à son niveau actuel.

La décision de Chrystia Freeland de le reporter à 66,7 % (à certaines conditions) répond probablement beaucoup plus à un besoin de trouver de nouvelles sources de revenus afin de réduire les déficits qu’à un soudain désir de plus grande équité fiscale, dit Luc Godbout. Mais l’un n’empêche pas l’autre.

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