CONGéDIéS, DES IMMIGRANTS SE RETROUVENT PIéGéS PAR LEUR CONTRAT DE TRAVAIL

De plus en plus d’immigrants invités au Canada sur un contrat de travail de deux ou trois ans se retrouvent sans emploi à cause du ralentissement économique. Ils sont nombreux à alors plonger dans la misère, coincés entre un permis de travail invalide et un plan d’immigration anéanti.

Mohammed est sans travail depuis trois mois. On l’avait invité en octobre dernier à travailler « temporairement » dans une manufacture de l’Estrie. L’employeur lui avait fourni un permis de travail fermé accompagné d’une promesse de salaire durant deux ans. Or, quelques semaines plus tard, on l’a congédié. Son rêve canadien s’est depuis transformé en cauchemar. Nous utilisons un prénom fictif pour ne pas nuire à ses chances de retrouver du travail.

« Ça se passait bien, les premiers jours… » raconte au Devoir le Tunisien d’origine, visiblement démoralisé.

La manufacture qui l’accueille le place au poste convenu dans le contrat. Mais on le relègue bien vite aux tâches de journalier. Le salaire est plus faible que celui initialement promis ; la tâche, plus éreintante. Coincé dans un permis de travail fermé qui l’empêche de travailler pour une autre entreprise, il plie l’échine. « Je donne alors mon 200 % pour obtenir et garder mon poste », explique Mohammed, conscient du peu de force de négociation qu’il possède vis-à-vis d’un employeur à qui il doit sa présence même au Canada.

Le peu de considération de ses supérieurs s’amenuise au point où, à peine quatre mois après le début de son contrat, on le congédie. Une des raisons données : « problème d’intégration ». Impossible pour lui de rebondir ailleurs dans la société québécoise, car le nom de cet employeur est inscrit noir sur blanc sur son permis de travail. « Je ne croyais pas qu’ils allaient faire ça », souffle-t-il. « Ce jour-là, je suis tombé dans une dépression totale. Je sais plus où aller. »

Ses options se réduisent à peu de choses. Ou bien il repart vers sa Tunisie natale, là où il a « tout quitté » et n’a plus rien. Ou bien il demande un nouveau permis de travail, ce qui peut prendre des mois. Ou bien il travaille au noir, une chose qu’il ne peut se résoudre à faire. Pour l’instant, il touche à peine 800 $ par mois en assurance-emploi. « Avoir su, je ne serais pas venu au Canada. »

D’autant plus grave, il affirme avoir été harcelé par des patrons. Le syndicat local le défend, a pu confirmer Le Devoir, mais Mohammed entretient peu d’espoir. « Ça peut prendre un à deux ans pour avoir un arbitre », soupèse le travailleur. « Je vais rester un ou deux ans au Canada pour avoir mes droits ? »

Victimes des cycles économiques

Les congédiements et licenciements avant la fin des contrats de travail se multiplient depuis le début de l’année, affirme Jasmin Chabot, coordonnateur à l’organisme sherbrookois Actions interculturelles. De cas rares repérés l’an dernier, il dit maintenant en compter des dizaines dans sa région. « De décembre à mars, on a traité 22 cas [...]. Et ça, c’est juste ceux qui sont venus nous voir. […] J’ai même eu un cas où le licenciement a été déclaré le premier jour du travail ! Certains sont à l’aéroport et on n’est même pas venu les chercher. »

Si une entreprise doit réduire son nombre d’employés, ce sont les immigrants temporaires qui partent en premier, observe-t-il. « Avec le temps et l’expérience, on voit les dynamiques évoluer. Au début, c’était les travailleurs dans l’aménagement paysager qui venaient nous voir pour un congédiement. Après, les manufactures, parce qu’il y a moins de commandes, puis les soudeurs, parce qu’il y a moins de mises en chantier. »

Ce ralentissement frappe maintenant le secteur informatique et les travailleurs comme Sophia, une informaticienne originaire d’Asie du Sud-Est. Nous utilisons ici aussi un prénom fictif pour ne pas nuire à ses chances de retrouver du travail. C’est au milieu de boîtes de déménagement dans son appartement de Sherbrooke que Le Devoir l’a rencontrée. Elle n’a plus d’autre option que de quitter le Québec, faute de permis de travail valide. « Les factures n’arrêtent pas même si le travail arrête », explique la mère de famille.

Tout allait bien depuis son arrivée en octobre 2022. « J’ai toujours fait mes statistiques, je remplis mes objectifs », dit-elle. Les premiers nuages noirs sont apparus en automne dernier, lorsque son employeur a commencé à licencier certains collègues. Puis, il y a quelques semaines, un imbroglio avec ses supérieurs a précipité les choses. Le couperet est tombé sur son poste et, sans pouvoir changer légalement d’employeur, elle se retrouve dans le même cul-de-sac administratif que Mohammed.

« Je ne pense pas que cette province fonctionne pour nous. J’ai perdu mon emploi. Ensuite, le français est très compliqué », explique-t-elle en anglais, alors qu’elle s’apprête à partir pour le ciel rempli de promesse de l’Alberta. « Il n’y a vraiment pas d’assurance. Mais j’espère qu’il y aura plus de possibilités. »

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

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